La voix humaine entre artifice et destin

L’homme naît silencieux. Silencieux a mené sa vie tout au long de sa phylogénèse et ‘aphasique’ se manifeste au moment de son arrivée parmi ses semblables. L’homme invente, façonne, construit sa voix mais l’on me peut pas dire qu’y soit obligé par sa physiologie. Pour qu’elle puisse exister, la voix doit exploiter les appareils biologiques destinés à la respiration et à la digestion en réduisant, en plus, leur efficacité. L’être humain est naturellement un être qui écoute ; il n’est pas nécessairement un être qui parle. D’ailleurs, bornée à sa nature, il ne parle pas (enfants sauvages). Il aurait pu être muet, même un être qui s’exprime et existe en utilisant les mains (depuis toujours il est le cas des sourds-muets). Pourtant, il y a un moment de l’évolution où la voix fait son apparition. Elle est préparé par certains transformations morphologiques et fonctionnels du corps et du cerveau. Elle est préparée, surtout, par un développement spécifique et significatif de l’oreille et des aires cérébrales qui le concernent (notamment l’aire de Wernicke). La voix comme l’Homo sapiens sapiens la connaît et l’utilise et évidemment un artifice, un outil et parfois, bien sûr, un œuvre d’art. Nous nous proposons d’explorer l’histoire phylogénique des transformations et modifications qui précédent la voix et montrer que l’artifice qui s’appelle voix est finalement une ‘destination’ jamais atteinte par notre espèce. De ce point de vue, l’on peut dire que la voix est une ‘art de vivre’ qui s’est transformée en ‘posture’, en danger d’‘aliénation linguistique’ (A. Artaud). Par son origine, la voix est appartenance qui se transforme en liberté, est un fait biologique qui est en soi un produit culturel. Le processus d’anthropogenèse qui aboutit à la naissance de la voix engendre des individus dont le cerveau est à la naissance toujours moins mûrs. Cela veut dire qu’au fur et à mesure que le primate laisse la place à l’homme, les ressources personnelles de l’individu en tant que tel devient subsidiaires par rapport à la protection qui procède de la communauté et des parents. De ce point de vue là l’hominisation enracine l’homme au maternel (comme d’ailleurs le montrent de récents études de psycholinguistique et d’audio-psycho-phonologie) et le destine à la liberté, voire au choix, sans pour autant lui éviter la dépendance, c’est-à-dire l’inéluctable rencontre avec notre moi qui est l’autre. Il est peut-être cela qui explique cette sorte de déplacement qui a fait que notre culture soit fondée sur le ‘voir’ plutôt que sur l’’entendre’. Et pourtant certains philosophes (Aristote, Maine de Biran notamment) ont essayé de montrer dans quels sens il est important de valoriser le ‘fait’ que le langage humain soit verbale, voire auditif et vocale.